Les Portugais devront payer les cours de langue maternelle
LUNDI 16 AVRIL 2012 - Pauline Cancela
INTÉGRATION • A Genève, les parents lusitaniens se
battent pour faire respecter le droit à l’enseignement gratuit du portugais en
Suisse. Lisbonne invoque l’austérité budgétaire.
L’austérité en vigueur au Portugal déploie ses
tentacules jusque dans les classes genevoises. Dès la rentrée de septembre, les
écoliers d’origine lusitanienne devront payer leurs cours de langue et de
culture d’origine (LCO), jusque-là entièrement financés par le gouvernement de
Lisbonne, via ses ambassades. La nouvelle fait grincer les dents des parents
portugais de Genève, qui dénoncent depuis deux ans la dégradation de
l’enseignement.
Cet important outil d’intégration leur coûtera
désormais 120 euros par année par enfant – contrairement aux cours d’espagnol
qui restent gratuits malgré la crise. A un mois des inscriptions définitives,
l’Association de parents d’élèves et éducateurs portugais Genève (APEEPG)
espère encore faire plier le parlement portugais en leur faveur (lire
ci-contre).
«Violation de la Constitution»
«C’est une violation de la Constitution», dénonce
la présidente de l’APEEPG Carla Rocha. Les cent quarante membres de
l’association tirent la sonnette d’alarme depuis février 2010, date à laquelle
un premier lot de jeunes s’est retrouvé sans professeurs. A la fin 2011, le
départ de quatre enseignants a laissé six cents élèves du bout du lac sans
classe, sur une communauté de trois mille cinq cents enfants.
Si chaque élève a pu être replacé, il n’empêche que
les classes sont aujourd’hui pleines à craquer. «Plus de trente enfants par
salle!» se désole Carla Rocha. Selon elle, la qualité des cours laisse déjà à
désirer depuis longtemps. «Les horaires sont inégalement répartis et rien ne
garantit qu’un professeur va rester. Le matériel scolaire est conçu pour
l’apprentissage d’une langue étrangère et non maternelle, c’est très
dévalorisant.» Les parents payeront probablement leur dû, par pragmatisme, mais
ils exigent une contrepartie: combien d’heures de cours, quels manuels, combien
de professeurs? «On ne va pas payer pour ce statut quo», avertit Carla Rocha.
De son côté, le consul général du Portugal à
Genève, Carlos Oliveira, est certain que «le financement des parents permettra
une plus grande stabilité de l’offre et une qualité de l’enseignement
améliorée. Il ne s’agit pas de grosses sommes, d’autant que le matériel
scolaire est inclus, rappelle-t-il. Je crois que les parents ont très bien
compris l’idée.» Pour le haut fonctionnaire, c’est le seul moyen de sauver les
cours.
Meilleur contrôle du DIP
Heureusement, les petits Lusitaniens ont la chance
d’avoir un soutien très fort du Département de l’instruction publique (DIP),
bien qu’un financement de l’Etat genevois soit exclu. Ce dernier, avec les
communes, leur fournit salles et support logistique. «La communauté portugaise
est une des plus représentées dans nos écoles, sinon la première», relève la
secrétaire générale Myriam Fridman, qui entretient une collaboration rapprochée
avec le consulat. «Le DIP est convaincu de l’importance des langues d’origine,
parce qu’elles favorisent la cohésion familiale et sociale, mais sont aussi un
support important pour l’apprentissage du français.»
Depuis quelques années, les résultats de ces
classes, toutes langues confondues, sont d’ailleurs ajoutés aux carnets de
notes. Le département planche actuellement sur l’intégration des cours LCO dans
la journée à l’accueil continu. Pour toutes ces raisons, les parents demandent
aujourd’hui au canton d’exercer un plus grand contrôle sur les enseignements de
langue maternelle. «Cela pourrait faire pression sur le Portugal», estime Carla
Rocha.
Vingt profs licenciés en Suisse
Le ras-le-bol des parents portugais est national.
Le 17 mars dernier, les représentants de la communauté lusitanienne et le
syndicat Unia ont manifesté à Berne contre le «démantèlement» des cours LCO.
Dans le même temps, les manifestants ont dénoncé le licenciement injustifié de
vingt enseignants en Suisse – sur un effectif d’environ cent cinquante.
«L’apprentissage de la langue portugaise est essentiel à l’intégration de la
communauté», souligne la syndicaliste Marília Mendes. «Il permet à l’enfant de
s’identifier et de rester en contact avec son pays d’origine.»
Un Comité citoyen pour la défense de l’enseignement
du portugais en Suisse rassemble désormais les antennes cantonales de la
communauté. Il s’attend à d’autres licenciements et estime à cinq mille deux
cents le nombre d’enfants qui ne pourront plus apprendre leur langue maternelle
en Suisse.
La colère est la même en France, relaye l’agence de
presse Lusa. «Nous rencontrerons bientôt des associations venant d’autres pays
européens», annonce Carla Rocha, présidente de l’Association de parents
d’élèves et éducateurs portugais Genève. Les députés portugais se seraient
saisis du dossier et pourraient aller dans leur sens, confie-t-elle. Une
question de semaines. PCA